Le Quatrième mur – Sorj Chalandon

Le livre :

Titre : Le quatrième murcvt_le-quatrieme-mur_2725

Auteur : Sorj Chalandon

Editions : Grasset & Fasquelle (Edition lue : Le Livre de Poche)

Genre : Roman

Année en publication : 2013


Le résumé :

L’idée de Samuel était belle et folle : monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé. Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m’a demandé de participer à cette trêve poétique. Il m’a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m’offre brutalement la sienne … S.C.


Nous en avons pensé …

                Dans la  librairie, ce qui a attiré mon regard sur ce livre est le bandeau indiquant « Choix des libraires 2015 » et son titre énigmatique. Puis vint le résumé très prometteur mêlant Histoire et littérature avec l’Antigone d’Anouilh que j’aime beaucoup. Je me suis donc laisser embarquer dans l’aventure …

                Au début, le récit semble assez fragmenté, pour ne pas dire complètement : on a du mal à voir l’intrigue se dessiner. La temporalité est bouleversée avec des voyages dans le temps qui ne sont pas facile à suivre. Heureusement, le cadre spatio-temporel de l’histoire est bien défini et apporte une structure au récit : les dates et la topographie nous aident à nous y retrouver. Malgré ce début un peu complexe à lire, quand l’intrigue annoncée par le synopsis commence réellement, le récit est beaucoup moins décousu. A partir de ce moment, on se laisse facilement prendre dans l’histoire. il y a peu de grands rebondissements mais ils sont très inattendus et arrivent au bon moment. Le rythme est très bien utilisé : il est par exemple rapide dans les moments de guerre et de violence, ce qui rend ces derniers particulièrement angoissants. A la fin du roman, tout s’emballe et on ne peu plus lâcher le livre. Le dénouement est assez grandiose d’un point de vue narratif : la façon dont il est écrit est très originale et j’ai beaucoup aimé l’impression de boucle constituée par le roman.

                Dès les premières pages, le cadre extrêmement violent de la guerre est planté et donne le la au roman. En effet, toute l’intrigue est plongée dans une atmosphère de violence, laquelle est montrée sans détours. A tel point que certains passages peuvent être assez durs à lire. Certains lecteurs peuvent être rebutés par tant de violence, mais il faut néanmoins poursuivre la lecture du roman : il en vaut vraiment la peine. Par ailleurs, en opposition radicale avec cette violence, les moments de théâtre sont vraiment magiques. La portée du titre est alors très appréciable : le quatrième mur au théâtre est celui, invisible, qui sépare la scène des spectateurs, donc de la réalité. Ici, le temps du théâtre semble réellement suspendu, comme étant protégé grâce à ce quatrième mur qui semble résister à la réalité. Ainsi, la rencontre de la guerre et du théâtre crée un mélange touchant et bouleversant de deux univers complètement différents.

                Le style de l’écriture reflète bien cette rencontre insolite et intéressante. L’écriture est en effet très simple, servant d’une main de maître le message du livre : sa limpidité, sa blancheur rendent tous les évènements décrits très réels, encore plus violents, menaçants et effrayants. L’atmosphère générale du roman, très pesante, est très bien rendue par les choix stylistiques de Sorj Chalandon. De même, les parenthèses de paix avec le théâtre bénéficient d’un tout autre traitement par l’écriture : le style est davantage poétique et léger malgré le contexte. On observe ainsi le grand talent de l’auteur, capable de moduler avec beaucoup de justesse l’écriture selon le passage relaté.

                Tous les personnages que l’on peut qualifier de principaux du Quatrième mur sont attachants à différents niveaux. Leur psychologie est très bien travaillée et les rend très touchants, surtout en ce qui concerne Georges, le narrateur, un Occidental mis aux premières loges de la guerre. La dimension littéraire très forte qui est rattachée à ce personnage amoureux des lettres et d’Histoire m’a permis de m’y identifier, du moins au début. Les évènements auxquels il est ensuite confronté l’éloignent certes un peu de nous par son vécu mais ils nous le rendent très touchant par son impuissance face au monde et son dévouement à tenir sa promesse malgré tout. Le personnage de Samuel est également très touchant par son histoire et les leçons qu’il nous enseigne : il incarne la raison et l’intelligence au milieu de toute cette violence absurde et il nous ouvre les yeux sur des choses simples qui peuvent faire notre bonheur. La diversité des origines des personnages qui composent la troupe de théâtre permet de découvrir une grande variété de cultures. Ces personnages sont nombreux et parfois confondus avec les personnages qu’ils incarnent dans Antigone, ce qui n’est pas toujours facile à suivre. Mais l’idée de les voir réunis autour d’un même projet et du narrateur est très agréable et délivre un message fort.

                Le roman de Sorj Chalandon compte de nombreuses références littéraires en tout genre que vont apprécier les amateurs de littérature. On découvre la principale d’entre elles, l’Antigone d’Anouilh, du point de vue – inédit pour moi – des acteurs et de la mise en scène ce qui est très intéressant : le roman donne comme une seconde vie à la pièce et nous permet de voir ce qui peut être fait en terme d’interprétation à partir d’une œuvre comme celle-ci. L’idée originale de ce roman permet également d’ancrer la pièce dans une réalité assez contemporaine – comme elle l’était à sa création sous l’Occupation. J’ai beaucoup aimé cette actualisation : l’œuvre et le mythe semblent ainsi encore plus intemporels. La portée politique et pacifiste du théâtre, et de la littérature en général, est ainsi abordée, ce qui donne au roman une dimension intéressante.

                J’ai particulièrement ressenti cette dimension avec les actualités au moment de ma lecture. En effet, les attentats du vendredi 13 novembre on donné pour moi une dimension supplémentaire et une résonnance vraiment particulière quant au fait d’utiliser la violence pour défendre une idée qui la justifierait (ce qui est le mode d’opération des protagonistes et celui des auteurs de ces tristes évènements) at quant à l’importance de maintenir la paix par tous les moyens. A la lumière de ces évènements, ce livre m’a vraiment touchée : chaque mot me semblait encore plus fort. D’une manière générale, Le quatrième mur soulève des questions délicates et très actuelles (malgré le fait que l’intrigue se déroule dans les années 1970 et 1980) sur les situations politiques de certains pays. Il m’a semblé important de les replacer dans un contexte historique : l’Histoire nous permet en effet d’apprendre de nos erreurs. Je ne sais pas si c’était une intention de l’auteur, mais j’ai énormément ressenti la dimension politique de ce roman.

                Ainsi, Le quatrième mur de Sorj Chalandon est un roman tout à fait remarquable qui mêle Histoire, littérature et politique pour délivrer un message fort. Il mérite amplement les pris qu’il a remportés et je suis vraiment heureuse d’avoir découvert ce livre.

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