A la rencontre du livre…
Titre : Maus, un survivant raconte
Titre original : Maus ; traduit de l’américain par Judith Ertel
Auteur : Art Spiegelman
Editions : Flammarion
Edition originale : Pantheon Books
Genre : Bande dessinée
Publication : 1973-1991 (1987-1992 pour la traduction française)
L’histoire…
Récompensée par le prix Pulitzer, Maus nous conte l’histoire de Vladek Spiegelman, rescapé de l’Europe d’Hitler, et de son fils, un dessinateur de bandes dessinées confronté au récit de son père. Au témoignage bouleversant de Vladek se mêle un portrait de la relation tendue que l’auteur entretient avec son père vieillissant.
Maus : un survivant raconte, un descendant transcrit…
Il y a quelques temps déjà, je me suis fait plaisir avec ce petit bijou : l’intégrale de Maus, une bouleversante bande dessinée par Art Spiegelman. Même si ce petit pavé peut impressionner au début, il présente le double avantage d’être une magnifique perle dans un joli écrin.
Dans Maus, ce sont en fait deux récits articulés avec beaucoup d’intelligence. Vladek Spiegelman est un rescapé des camps de la mort et pour son fils, auteur de bande dessinée, il raconte tout. Ce témoignage donne naissance à la bande dessinée que nous tenons entre les mains. Dans celle-ci, il fait le choix intéressant de représenter chaque peuple par une espèce animale qui lui est propre. Ce procédé, qui n’est pas sans rappeler La Ferme des animaux de George Orwell, permet de révéler d’une manière fascinante les caractéristiques essentielles des protagonistes. Mais Art Spiegelman ne se contente pas seulement de transposer l’histoire de son père. Ainsi, il retrace aussi la genèse de cette bande dessinée, l’occasion pour lui d’explorer les relations complexes qu’il entretient avec son père.
Le témoignage de Vladek Spiegelman offre un matériau historique inestimable et dresse le portrait d’une époque. En effet, son récit permet de balayer toute une époque et ses idéaux les plus représentatifs : la montée du nazisme et de l’antisémitisme, la guerre, l’incarcération dans les camps et la libération. Il nous en offre une vue d’ensemble, mais aussi des anecdotes qui donnent à l’Histoire une couleur plus personnelle.
Bien sûr, avec un tel sujet, on ne peut pas s’attendre à une lecture reposante. Les émotions fortes sont au rendez-vous, dans les mots aussi bien que dans les illustrations d’Art Spiegelman. Témoignage en bonne et due forme, l’auteur rapporte toutes les horreurs commises à cette époque et la violence est montrée sans filtre. Les mots de Vladek, eux, nous transmettent avec beaucoup de puissance l’extrême tension que les protagonistes, des personnes qui ont réellement existé, pouvaient éprouver à cette époque. La lecture de Maus s’avère plutôt éprouvante, tant l’auteur, dans un souci de vérité, ne lésine pas sur les détails et le caractère explicite des illustrations.
Celles-ci sont par ailleurs terrifiantes. D’apparence assez simples, elles recèlent des détails extrêmement signifiants et capables de nous glacer le sang. Art Spiegelman a fait le choix, pour ses illustrations, de la monochromie, une aubaine quand il s’agit de représenter le passé. Celui-ci, très sombre dès le départ, s’assombrit de page en page.
Comme beaucoup de témoignages qui traitent de cette sombre époque, Maus soulève d’intenses interrogations sur l’humanité. Au beau milieu du chaos et de la barbarie, nous reste-t-il une part d’humanité ? L’auteur, en discutant avec son père, se pose aussi des questions sur l’après-guerre. Il cherche à comprendre comment ces atrocités ont pu changer un homme, à savoir si on peut survivre à l’holocauste. Enfin, il explore la culpabilité du survivant, qui n’est pas mort dans les camps, mais aussi celle de leurs descendants, qui n’ont pas connu, comme leurs ancêtres, l’horreur de la Shoah.
En plus de ce précieux matériau anthropo-historique, Art Spiegelman enrichit Maus par une matière littéraire que j’ai trouvée fascinante. En effet, il s’interroge sur le rôle de l’écrivain face à un tel événement : a-t-il le droit de s’en emparer et d’en parler ? En dévoilant les coulisses de la genèse de cette bande dessinée, il explore les sentiments que l’écrivain peut ressentir quand il publie un tel livre, et avance quelques éléments de réponse…
Maus d’Art Spiegelman est donc une bande dessinée terriblement poignante. Mêlant Histoire et récit de famille, elle explore les émotions humaines les plus complexes avec une intensité qui m’a réellement conquise. A une époque où je n’étais pas particulièrement intéressée par la bande dessinée, elle m’a donné envie de m’intéresser plus sérieusement à ce genre.