La ballerine aux gros seins – Véronique Sels

À la rencontre du livre…

La ballerine aux gros seins.jpgTitre : La ballerine aux gros seins

Auteur : Véronique Sels

Éditions : Arthaud

Genre : Roman

Publication : janvier 2018


L’histoire…

Barberine s’entraînait déjà dans le liquide amniotique. C’est dire si sa détermination à devenir ballerine était entière. Mais la discipline est militaire. Le parcours, semé d’embûches. Sans compter qu’à tout moment, le gène du sein lourd menace.

Et voilà que ses seins, Dextre et Sinistre, prennent voix. Un chant choral se met en place. C’est leur récit contre celui de Barberine.

Parcours initiatique de la danse classique à la danse post-moderne de Bruxelles à New York, fable anatomique, critique de la raison mammaire, manifeste à trois voix, le roman questionne notre rapport au corps féminin et la place qui lui est donnée dans la société occidentale. Après pareil voyage au nord, au sud, à l’est et à l’ouest de notre anatomie, il est fort à parier que vous ne regarderez plus jamais un sein comme avant. Car si l’esprit parfois prend des détours, chair ne saurait mentir.


Un ballet mammaire hilarant et profond !

                Qu’ils soient gros, petits, fermes ou fripés, nous avons toutes une histoire à raconter sur nos seins. Voici celle de Barberine et de ses deux acolytes mammaires. La ballerine aux gros seins de Véronique Sels est un roman pétillant, une comédie légère et pleine de bon sens.

                Depuis sa naissance, et même avant cela, Barberine est passionnée de danse et prévoit d’en faire son métier. Alors elle commence très tôt les cours de danse, dont la féerie qui s’en dégage nous fait rêver. Peu à peu, la variété des genres de cette dernière permet à la jeune fille de suivre un chemin initiatique. La rencontre avec de nouvelles formes d’expression chorégraphique amène Barberine à se découvrir elle-même. Elle est douée, elle a ses chances. Mais une ombre menace de se dessiner au tableau tandis que pointe la puberté.

                Mais Barberine n’est pas la seule narratrice de La ballerine aux gros seins. Ses seins, Dextre et Sinistre, prennent la parole dans ce qu’ils appellent leur « autobiographie mammaire ». Le roman nous livre alors un point de vue inédit et atypique sur le monde : le voir par les yeux d’une poitrine bouleverse en effet toutes les perspectives. Celle-ci raconte les choses comme elles sont, simplement, s’attache aux sens et aux perceptions physiques. Elle donne ainsi à voir de l’intérieur et de façon totalement insolite certains mécanismes physiologiques comme la puberté. Ce soudain déliement des langues, si tant est qu’on puisse dire cela, sonne alors comme une libération de la parole.

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir », Le Tartuffe, Molière (acte III, scène 2)

                Ceux-ci, pourtant, ne sont pas bien vus par Barberine. Au contraire, cette dernière vit les transformations de son corps à la puberté comme une malédiction. Une tragédie que toute femme est amenée à connaître : en naissant, nous sommes toutes promises à ce que le narrateur nomme le « destin mammaire » sans savoir à l’avance le volume de la poitrine dont nous serons affublées. Les seins de Barberine sont pour elle un fardeau qui contrecarre ses plans de carrière et monopolise son attention. Mais le ton et les expressions utilisés sont si drôles qu’on ne peut indéniablement prendre Barberine totalement au sérieux.

                En effet, le titre de La ballerine aux gros seins et son résumé laissent présager un roman débordant d’humour. Et malgré tout, je ne m’attendais pas à rire autant de la première à la dernière page comme ce fut le cas. La prise de parole des seins de Barberine, avec un ton décalé, donne à voir les choses depuis un point de vue insolite. Chaque situation en devient hilarante, portée par une plume qui n’en est pas moins comique.

                De plus, l’humour dans le texte n’est pas dénué de sens. Si les dissonances entre le discours de Barberine et celui de Dextre et Sinistre, ses seins, sont extrêmement drôles, elles révèlent aussi quelque chose de l’image de la femme dans notre société. Barberine, terriblement gênée que sa poitrine naissante attire soudain le regard des hommes, incarne une idée communément admise, bien que sous cape, selon laquelle une femme ne doit pas faire ostentation de ses attributs féminins (n’est-ce pas ce que l’on rétorque injustement aux victimes de viol?). Parfaits contraires de la jeune femme, ses seins assument, eux, pleinement leur caractère sensuel et charnel, ainsi que leur rôle de membres sexuels : ils véhiculent alors un message féministe selon lequel nous devons accepter notre apparence, quelle qu’elle soit. Une telle émancipation de la parole féminine est, à ma connaissance, inédite en littérature et fait toute la richesse de La ballerine aux gros seins.

                Sous ses airs de roman comique, ce dernier nous propose en effet une intense réflexion sur l’image de la femme dans la société occidentale. Malgré son caractère ostentatoire qui « justifie » qu’on le cache, le sein définit aussi la femme comme objet de désir. Là réside toute l’ambiguïté de cette image : une femme est femme quand elle a une poitrine volumineuse qu’on lui interdit néanmoins de trop montrer. Non content de simplement la dénoncer, le roman met sérieusement à mal cette représentation de la féminité. Non seulement, Dextre et Sinistre, en prenant la parole, s’émancipent et se libèrent de la dissimulation à laquelle on veut les contraindre, mais aussi Barberine, qui ne rêve que d’une poitrine plate, nage à contre-courant et refuse ainsi l’image généralement admise de la femme aux formes généreuses.

                Le roman est également porté par une langue délicate, travaillée et poétique. À tel point que, malgré son côté très trivial parfois, on ne perçoit plus que la musique du texte. Le vocabulaire est très recherché et j’ai beaucoup admiré comment Véronique Sels joue avec les mots, par exemple quand elle réinvestit le champ lexical de la danse dans la vie quotidienne. Les plus passionnés des lecteurs apprécieront aussi les nombreuses références aux arts présentes dans le texte : aux classiques de la danse, bien sûr, mais aussi à d’autres disciplines comme la peinture ou la littérature.

                La ballerine aux gros seins de Véronique Sels est donc un roman exquis en tous points. Une histoire captivante et insolite, un ton léger et décalé, un message profond et libérateur : tout est réuni pour nous faire passer un excellent moment en compagnie de cette belle réussite.

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